Le combat spirituel chez saint Jean de la Croix

La thématique du combat spirituel est fort présente dans la spiritualité carmélitaine : depuis la Règle du Carmel invitant à revêtir l’armure de Dieu (Ep 6,10-17) jusqu’à la poésie Mes armes  (PN 48) de la Petite Thérèse, il est difficile d’y échapper. Notre père saint Jean de la Croix est maître en la matière en raison de la précision de ses analyses. Recueillons quelques points de son enseignement.

Un combat qui en vaut le coup

S’il y a un combat à mener dans notre vie spirituelle, c’est parce qu’il y a un enjeu : notre divinisation. On ne se bat que lorsqu’on a compris l’enjeu de la bataille et que la victoire est probable. Sinon nous baissons les armes rapidement ! Or l’enjeu du combat est clair : nous sommes destinés à nous unir à Dieu pour toujours. Nous sommes créés par Dieu pour participer de sa vie éternelle. La vie trinitaire est notre but. Les Pères de l’Église l’ont exprimé à travers le vocabulaire de la divinisation qui s’appuie sur l’Écriture : « Les promesses les plus précieuses nous ont été accordées pour que vous deveniez participants de la nature divine » (2P 1,4).

Saint Jean de la Croix reprend cette théologie traditionnelle quand il affirme par exemple : « L’âme est devenue Dieu par participation de Dieu » (Vive Flamme B 2,34). Pour dire cette union du croyant avec le Christ, il recourt à l’image biblique de l’alliance. La destinée chrétienne est de s’unir au Bien-Aimé : cela advient dans le « mariage spirituel », comme le montre magnifiquement le Cantique Spirituel. Ainsi le but du combat spirituel est de vaincre les ennemis intérieurs qui nous empêchent de nous unir avec Dieu dans l’amour.

Une difficulté de taille et une bonne nouvelle

Pourtant, dès le début de la Montée du Carmel, Jean de la Croix nous avertit qu’il y a un obstacle de taille : « Tout l’être des créatures n’est rien comparé à l’être infini de Dieu » (I MC 4,4). Dieu n’est pas comme nous : il est le Tout-Autre. Comment unir deux êtres si différents ? Ne croyons pas que nous sommes capables de gagner seuls le combat, c’est-à-dire de nous unir à Dieu par nos propres forces. C’est hors de notre portée ! La sainteté nous est inaccessible, dira en d’autres mots Petite Thérèse ! Voilà de quoi nous décourager ou nous demander si Dieu ne se contredit pas !

En réalité, Dieu fait toujours le premier pas et surmonte l’obstacle en prenant l’initiative de se donner à nous. Tout commence par le don de Dieu manifesté dans le Christ. « Dieu nous a aimés le premier » (cf. 1Jn 4,10). Le Tout-Autre s’approche de nous par Jésus. Et c’est même Lui qui va combattre pour nous ! Le mystère de l’Incarnation est la preuve que Dieu s’engage pour nous et paye lui-même le prix de notre victoire. La victoire dans le combat spirituel ne sera donc pas le fruit de nos exploits spirituels avec le risque de l’orgueil mais la victoire de la sainteté de Dieu en nous, à travers nos pauvretés. Voilà la bonne nouvelle qui nous est annoncée. N’ayons pas peur du combat. La victoire est assurée tant que nous demeurons dans le Christ et dans la docilité à son Esprit.

Faire de la place à la victoire de Dieu

Mais pour pouvoir mener ce combat en nous, Dieu demande notre collaboration qui se résume essentiellement à dégager de l’espace pour permettre à l’Esprit Saint de travailler dans les profondeurs de notre être.

Or Jean de la Croix ne cesse de dénoncer notre esprit de propriétaire : nous captons tous les biens, même spirituels, pour nous. Nous entassons et encombrons notre intériorité. Il faut donc que nous fassions une grande « braderie » intérieure pour nous débarrasser de tout ce qui nous englue : « La plus grande erreur de l’âme serait de croire qu’elle pourrait atteindre l’état élevé d’union avec Dieu sans d’abord écarter de son désir tout ce qui peut lui faire obstacle » (I MC 5,2). On ne peut pas s’unir avec Dieu en le considérant comme une réalité parmi d’autres. Dieu doit régner comme Seigneur en nous et non comme une chose de plus ! Précisons : la difficulté n’est pas le fait d’avoir ou de ne pas avoir, mais de dépendre de ce qui nous fascine, de nos idoles. « Ce ne sont pas les choses extérieures qui accaparent l’âme et lui font du tort, mais ce qui lui fait tort, c’est que demeurent en elle leur désir et leur attrait » (I MC 3,4). Il importe donc de protéger mon désir profond d’aimer le Seigneur et pour cela, de renoncer à la logique effrénée de la consommation, même spirituelle. C’est ce libre renoncement par amour qui offre l’espace pour que Dieu se donne et me transforme.

Croire, espérer et aimer

Plus concrètement, c’est surtout la vie de prière qui va nous aider à cultiver cette attitude amoureuse : chercher à rester disponible au don de Dieu. En consentant à prier et à demeurer dans la prière, au-delà de ce que je sens ou je comprends, je laisse Dieu agir à travers moi, « bien que de nuit ». Combattre, c’est parfois tout simplement rester là, même si j’ai la sérieuse impression de perdre mon temps… Mais non, je choisis de brûler mon temps pour Dieu, par amour, et de lui donner un espace pour qu’il se donne. Je choisis de croire que Dieu agit en moi et me transforme. Pour m’aider, je peux penser que je suis comme un malade en pleine opération : anesthésié, je ne sens rien, mais la foi me dit que Dieu opère ! Et c’est bien à ce niveau-là que se joue le combat spirituel pour Jean de la Croix : « La foi est le seul moyen adapté et approprié pour que l’âme s’unisse avec Dieu » (II MC 9,1). Seule la foi touche Dieu, comme l’espérance et la charité ! Voilà les trois armes divines qui nous assurent la victoire !

Deux filles de Jean de la Croix désigneront cette même attitude dans le combat spirituel, mais avec leurs mots : dans la prière, apprendre à « se laisser aimer » (Élisabeth de la Trinité), même si les peurs et objections ne manquent pas ; « consentir à rester pauvre et sans force » (Thérèse de l’Enfant-Jésus), tout en s’appuyant sur une confiance invincible en Dieu. Au fond, « la victoire, c’est notre foi » (1 Jn 5,4) ! C’est-à-dire croire (vraiment !) que la victoire est acquise et que notre vie nous est donnée pour que la Résurrection du Christ se déploie dans toute notre humanité. Désarmons-nous, délaissons donc de nos pauvres armes humaines et enfilons la légère armure de Dieu : les vertus théologales s’emportent partout, pas besoin de bagages ! Elles promettent un beau voyage de noces spirituelles avec le Bien-Aimé !

 

Fr. Jean-Alexandre De Garidel, ocd (Avon)

 

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