Le samedi 18 octobre 2025, en l’église Saint-Joseph-des-Carmes à Paris, a eu lieu la profession solennelle du frère Benoît-Antoine de la Croix Glorieuse dans l’Ordre des Frères Déchaux de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel.
Homélie de la profession
Cher frère Benoit-Antoine,
Pour exprimer ton désir de te donner totalement au Seigneur dans la grâce du Carmel, tu as choisi des textes bibliques qui nous aident à mieux comprendre le sens de ton engagement. J’en retiens trois mots : désert, parole et zèle.
« Ainsi parle le Seigneur : Mon épouse infidèle, je vais l’entraîner jusqu’au désert ». C’est la parole que Dieu adresse au peuple d’Israël qui s’est détourné du vrai Dieu pour adorer des idoles. Mais le Seigneur ne se laisse pas vaincre en espérance. Il prend les moyens de ramener son peuple à lui, à la manière d’un époux cherchant à faire revenir sa femme adultère au temps et au lieu du premier amour, au désert de l’exode. C’est en effet pendant les 40 ans de désert que le peuple juif a retrouvé le sens de l’alliance. Cette image conjugale s’applique à tout disciple de Jésus, homme ou femme. Mais au Carmel, elle reçoit un relief particulier car le Carmel est un désert, un lieu saint et retiré qui permet de retrouver le cœur, son propre cœur mais aussi celui du Bien-Aimé. « Mon épouse infidèle, je vais l’entraîner jusqu’au désert, et je lui parlerai cœur à cœur. » S’engager pour toujours dans la grâce du Carmel, c’est choisir le désert comme demeure. Voilà ce que comprit la jeune Thérèse Martin en méditant sur sa vocation : « je sentis que le Carmel était le désert où le Bon Dieu voulait que j’aille me cacher… » (Ms A 26) écrit-elle. Le désert est un lieu qui fascine et qui fait trembler tout à la fois : espace immense de solitude et de dépouillement, avec la terre et le ciel. Mais l’expérience t’a montré, cher frère, que le désert du Carmel est habité d’une présence, celle du Dieu caché. A la suite des Pères du désert, tu as découvert au noviciat, et par la suite, que le désert est un état d’esprit, une manière de vivre qui permet de se vider de soi-même pour se laisser remplir par la présence aimante de Jésus. C’est dans le désert que chacun est face à sa vérité, face à sa misère implacable et à ses infidélités, mais aussi face à la vérité du Dieu qui nous sauve. Au désert, les belles apparences s’effritent, nos masques tombent et cela a parfois quelque chose d’effrayant ; mais c’est sur ce lieu même qu’apparaît le fondement fiable de toute existence : « ne crains pas, je suis ton Dieu », celui qui te donne « la vie, le mouvement et l’être ». Alors peut se prononcer un « oui », en signe d’alliance, un oui préparé pendant des années par ce cœur à cœur du désert et qui s’exprime aujourd’hui solennellement devant l’Eglise. Ce oui est fondé sur ta foi en la fidélité de Dieu à ton égard hier, aujourd’hui, demain et pour toujours. « Je ferai de toi mon épouse pour toujours » dit le Seigneur. « Je me donne de tout cœur » répondras-tu dans quelques instants dans ton acte de profession. C’est bien cette grâce du désert qui te permet de répondre oui au oui de Dieu, de lui rendre amour pour Amour.
2ème aspect du Carmel : la parole. Cette expérience du désert ne fait que donner du poids à la parole. D’abord, la Parole de Dieu puisque c’est dans ce climat de désert que Dieu parle cœur à cœur à travers l’oraison. La Règle du Carmel insiste sur l’importance du silence pour écouter une parole qui ne vient pas de nous. Tu as appris, Benoit-Antoine, à te distancier des tumultes du monde et du brouhaha permanent des media. Tu as perçu peu à peu cette voix de fin silence, cette musique silencieuse qui ne s’écoutent que dans le cœur qui se tait. Ainsi tu es entré en toi-même en profondeur pour mieux écouter comme le disciple. En toi s’est réalisée cette parole du psaume : « Tu as ouvert mes oreilles ».
Selon les mots de la Règle, tu as appris à méditer jour et nuit la Loi du Seigneur, à scruter les paroles divines consignées dans les Ecritures. Tu as découvert que ces paroles n’étaient pas des vestiges du passé mais une parole à toi adressée. Une parole qui s’accomplit dans ta vie comme le proclame Jésus dans l’évangile : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. » En effet, tu peux affirmer la même chose pour ton propre compte en ce jour où ta consécration baptismale revêt une couleur nouvelle. L’Esprit du Seigneur te donne de répondre à la Parole reçue et méditée : « Me voici, Seigneur, je viens faire ta volonté » avec les mots du psaume ou avec ceux de notre mère sainte Thérèse : « Je suis né pour vous, que voulez-vous faire de moi ? »
3ème aspect : le zèle ! La parole écoutée au désert qui suscite une réponse n’enferme pas le carme déchaux dans un soliloque avec Dieu qui ferait fi du monde. Elle transforme le cœur du priant et en fait un apôtre qui ne peut se résoudre à sa solitude alors que tant des gens vivent sans connaître l’amour brûlant du Bon Dieu ! L’accueil du Verbe expulse le priant du désert pour un temps afin que, comme saint Paul, il cherche à balbutier quelques mots du mystère de Dieu. C’est un vrai travail pour trouver des mots compréhensibles à son auditoire sans trahir la force de la Parole de Dieu. Tes études de journalisme puis de théologie t’ont bien préparé à ce labeur apostolique sans cesse à refaire. Pourtant ce zèle missionnaire porté par le Carmel depuis le prophète Elie, empli de zèle pour le Seigneur Sabbaot, ne garantit pas le succès. Le discours de saint Paul à Athènes a été un échec presque complet ; quant à la parole de Jésus à Nazareth, elle s’est heurtée à l’incrédulité de ses habitants. La mission est traversée par le mystère de la Croix, avec sa souffrance et ses obscurités. Jean de la Croix t’a appris que « Celui qui ne cherche pas la croix du Christ ne recherche pas la gloire du Christ. » (Dit 101) Mais le mystère de profession que tu as reçu te rappelle que la Croix de Jésus est glorieuse et que l’épreuve traversée dans l’amour de Jésus est féconde, même si le monde ne le saisit pas.
Avec ces trois aspects, le désert, la parole et le zèle, nous avons des points essentiels du charisme carmélitain. Mais il faut ajouter pour finir le rôle structurant de la communauté. Tu t’engages pour toujours dans l’Ordre des frères déchaux de la Bse Vierge Marie du Mont Carmel ; tu reçois donc une mère et des frères avec qui vivre cette vie de recherche de Dieu. La fraternité est le lieu qui soutient l’âpreté du désert, qui aide à affiner sa parole et qui réveille le zèle quand celui-ci s’affadit. La communauté est aussi le lieu qui permet d’atteindre le but que tu te proposes selon la formule de profession : atteindre la charité parfaite qui est amour de Dieu et du prochain dans le Christ.
Cher frère, nous rendons grâce pour ton oui qui nous invite à renouveler notre propre oui pour que Jésus soit connu et aimé. Que les saints du Carmel t’accompagnent en ce jour de fête et de joie, sur terre et dans le Ciel. Amen
Frère Jean-Alexandre de l’Agneau ocd