Le vendredi 6 août dernier, les frères Maxime de la Transfiguration et Nicolas de l’Enfant-Jésus, ont fait leur profession simple dans l’Ordre des Frères Déchaux de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel.
La célébration a eu lieu dans l’intimité, avec les familles des profès et la communauté des frères carmes d’Avon.
Homélie du frère Olivier-Marie
Chers frères Maxime de la Transfiguration et Nicolas de l’Enfant Jésus, votre engagement à suivre Jésus au Carmel est éclairé par la lumière de la Transfiguration. Cet événement constitue un tournant décisif dans la vie de Jésus. Tandis que sa mission était jusqu’alors centrée sur l’annonce du Royaume, elle se concentre à présent sur la formation de ses disciples. Cette scène est en effet précédée par la question que Jésus leur pose à Césarée de Philippe : « Pour vous qui suis-je ? » (8,29) ; la confession par Pierre de sa messianité est suivie de la première annonce de la passion et de son exhortation à le suivre en se chargeant de sa croix. Il leur prédit alors : « Amen, je vous le dis : parmi ceux qui sont ici, certains ne connaîtront pas la mort avant d’avoir vu le règne de Dieu venu avec puissance. » (9,1)
Et l’Évangéliste poursuit : « Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmène, eux seuls, à l’écart sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux. » (9,2) Marc précise qu’il s’agit du sixième jour, celui où Dieu créa l’homme à son image et ressemblance (Gn 1,26), image et ressemblance que nous contemplons en Jésus transfiguré. Ainsi, Jésus se révèle lui-même à ses disciples : après les avoir questionné sur son identité (8,27-29), il en choisit trois afin qu’ils contemplent en sa Personne la Gloire de Dieu, « lui en qui habite corporellement toute la plénitude de la divinité » (Col 2,9). Frères Nicolas et Maxime, Jésus vous a appelés à sa suite en vous donnant de découvrir en lui le mystère du Royaume. Ainsi que le dit Jean de la Croix, « si l’âme cherche Dieu, son Bien-Aimé la cherche avec infiniment plus d’ardeur. » (VFB III,28) Pour désirer sa Gloire, il faut avoir été saisi par son Amour et le choisir lui seul en cette solitude du cœur que chante Jean de la Croix : « La blanche colombe /…/ en solitude, a posé son nid / et en solitude la guide / seul à seul son aimé / blessé d’amour en solitude aussi. » La prière, où vous vivez ce cœur à cœur avec Jésus sera désormais portée par votre vœu de chasteté, une chasteté pour le Royaume vécue dans la disponibilité à la vie fraternelle et à la mission de l’Église.
Pierre, quant à lui, intervient à deux reprises de façon intempestive. Après s’être permis de réprimander Jésus au sujet de l’annonce de sa Passion (8,31s), il fait à présent une incroyable intrusion dans le colloque de Jésus avec Moïse et Elie (9,5s). Tandis que Jésus l’avait sévèrement remis à sa place de disciple : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » (8,33), c’est à présent la Nuée divine de l’Esprit Saint, qui lui impose le silence. Frères Maxime et Nicolas, suivre Jésus sur la montagne du Carmel n’est pas œuvre humaine. Il faut se laisser dépouiller de toute prétention à agir. Perdre sa vie pour suivre Jésus, c’est renoncer à la diriger afin de se laisser guider par l’Esprit Saint ; c’est consentir à sa pauvreté pour s’en remettre à la seule grâce de Dieu, mais combien cela est exigeant comme l’enseigne Thérèse de l’Enfant Jésus : « … pour aimer Jésus, être sa victime d’amour, plus on est faible, sans désirs, ni vertus, plus on est propre aux opérations de cet Amour consumant et transformant… Le seul désir d’être victime suffit, mais il faut consentir à rester pauvre et sans force et voilà le difficile, car « Le véritable pauvre d’esprit, où le trouver ? il faut le chercher bien loin » dit le psalmiste, c’est-à-dire dans la bassesse, dans le néant … » (LT 197) L’enfant est la figure évangélique de cette pauvreté ; l’enfance spirituelle est la condition nécessaire pour entrer dans le Royaume de l’amour (cf. Mc 10,15) comme l’a compris Thérèse : « … Jésus se plaît à me montrer l’unique chemin qui conduit à cette fournaise Divine, ce chemin c’est l’abandon du petit enfant qui s’endort sans crainte dans les bras de son Père… » (Ms B 1) Et ailleurs : « … je me réjouis d’être petite puisque les enfants seuls et ceux qui leur ressemblent seront admis au banquet céleste. » (LT 226) Le vœu de pauvreté vous engage sur ce chemin de dépouillement et d’abandon à la Grâce afin que se réalise en votre vie la parole de Jésus : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. » (Mt 5,3)
Enfin, Jésus avait interdit à ses disciples de dire qu’il était le Christ avant qu’il n’ait souffert sa Passion (8,30s) ; il leur interdit à présent de parler de sa Transfiguration avant sa Résurrection d’entre les morts (9,9). Pour rendre témoignage à Jésus, il faut avoir expérimenté le mystère de sa Passion ET de sa Résurrection, avoir pris à sa suite le chemin de la mort à soi-même afin de vivre de sa Vie. « Soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux. » (9,8) Frères Nicolas et Maxime, Jésus, et Jésus en sa Sainte Humanité, est l’unique chemin qui conduise à l’union à Dieu ; lui, le Fils Bien-Aimé, s’est abandonné Enfant dans les bras de Marie ; il est devenu, à l’école de Joseph, ce « fils de l’homme » capable de recevoir l’amour d’un père ; il est notre modèle en humanité, lui qui seul peut accomplir en nous la filiation divine comme le révèle la voix du Père : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! » (9,7) Le vœu d’obéissance est le moyen privilégié pour parvenir à l’union à Dieu à la suite de celui qui « s’est fait obéissant jusqu’à la mort et la mort de la Croix » (Ph 2,8) C’est pourquoi Thérèse de Jésus insiste tant sur le fait de « … conformer sa volonté à celle de Dieu ; soyez bien certaines, dit-elle à ses sœurs dans le livre des Demeures, que telle est la plus grande perfection qu’on puisse atteindre dans la voie spirituelle. » (II D I,8) C’est l’enseignement essentiel de son livre intitulé « le chemin de perfection » : « Tous les avis que vous trouverez dans ce livre n’ont pas d’autre but que de nous conduire à nous donner tout entiers au Créateur, à lui remettre notre volonté, à se détacher des créatures. C’est alors que nous boirons à la source d’eau vive, car la contemplation parfaite consiste à se donner tout entier au Créateur pour qu’il accomplisse en nous sa volonté. Ce don de notre volonté n’est rien moins que le don total de nous-mêmes à Dieu. Il est le but de toute la vie spirituelle et le fondement de notre union à Dieu. » (XXII,9)
Notre Règle nous demande pour cela de «méditer jour et nuit la Parole et de veiller dans la prière». Ainsi se réalisera pour vous la promesse de Jésus selon Saint Jean, promesse que Thérèse nous présente dans le livre des Demeures comme étant l’accomplissement du chemin spirituel (cf. VII D I,6) : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure. » (14,23) Aimer Jésus, c’est garder sa Parole, la garder avec amour pour vivre avec lui dans la communion du Père et de l’Esprit. Frères Maxime de la Transfiguration et Nicolas de l’Enfant Jésus, que la Parole de Jésus ainsi gravée dans votre cœur vous guide jour après jour dans les vouloirs du Père pour faire de vous, selon la si belle expression de Thérèse, «des serviteurs de l’amour ».
Frère Olivier-Marie